L’Art d’avoir toujours raison

L’Art d’avoir toujours raison
L’Art d’avoir toujours raison est écrit par Schopenhauer en 1830-1831 mais ne sera publié qu’en 1864. Il y présente la dialectique éristique, l’art de la controverse. On pourrait aussi le sous-titrer : Comment avoir raison a tout prix ou l’Art de la mauvaise foi.
Ce petit ouvrage est donc un recueil de 38 astuces ou stratagèmes pour vaincre dans un échange oral. La Vérité n’est objectivement pas l’objet du propos.
Nous ne reprendrons pas la totalité des stratagèmes cités, et nous en faisons une sélection subjective par ce qui nous semble les grandes thématiques avec un clin d’oeil à Sun Tzu « L’essentiel est dans la victoire et non dans les opérations prolongées. »
Pourquoi faire cette reprise ? Principalement parce que certains orateurs n’ont aucun scrupule à utiliser ces méthodes et qu’il est bon de les connaître afin d’être en mesure de les anticiper voire de les contrer.
Et puis, cet éloge de la mauvaise foi nous a beaucoup amusé.

Dissimulation et diversion

1. [ Avancer caché – Brouiller les pistes ] Cascade des oui – Accumuler des affirmations de l’adversaire Il ne faut pas que l’adversaire voie où l’on veut en venir, mais quand même lui faire admettre les prémisses une par une, l’air de rien. Posez vos questions dans un ordre différent de celui duquel la conclusion dépend, et transposez-les de façon à ce que l’adversaire ne devine pas votre objectif.

2. [ Jouer sur la vitesse] Pour masquer les erreurs d’argumentation.
Poser beaucoup de questions à large portée en même temps, comme pour cacher ce que l’on désire faire admettre

3. [Feindre d’adhérer à sa thèse] « Nous sommes d’accord sur la nécessité de faire des économies … », « Vous avez parfaitement raison, et c’est pourquoi il est nécessaire de … »
L’interroger sur la thèse contraire, comme si c’était cela qu’on voulait le voir approuver.

4. [ Interrompre et détourner le débat ] « Il y a un téléphone qui sonne … Non ? … J’ai entendu quelque chose sonner … C’est le votre ?»
Commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait un argument contre votre adversaire. L’interrompre au milieu de son argumentation, le distraire, et dévier ce sujet pour l’amener à d’autres peut aussi permettre soit de lui faire perdre le fil de sa démonstration, soit, pour vous, faire gagner un temps précieux vous permettant de réfléchir à la contre-argumentation.

Commentaire : La dissimulation est pour Sun Tzu une composante essentielle de l’Art de la guerre : « Que l’ennemi ne sache jamais comment vous avez l’intention de le combattre, ni la manière dont vous vous disposez a l’attaquer, ou a vous défendre ».

S’attaquer à la stratégie de l’adversaire

1. [ S’attaquer a ce qu’il est, a dit ou a accepté] « Impossible de donner du crédit à Heidegger, vu ses affinités nazies. »
Il faut prendre des arguments faux en eux-mêmes, mais vrais ad hominem

2. [Argument reposant sur ce que l’on veut prouver] « Les medecins se trompent parfois donc ces études médicales peuvent aussi se tromper »
On fait une petitio principii en postulant ce qui n’a pas été prouvé

3. [ Le choix impossible ] « L’image de l’entreprise est-elle importante à vos yeux ? Ou bien pensez-vous que nous pouvons la négliger ? »
Pour que notre adversaire accepte une proposition, il faut également lui fournir la contre-proposition et lui donner le choix entre les deux

4. [ Apocalyptique pour l’adversaire] « En théorie oui, en pratique non »
Si ça ne marche pas c’est qu’il a une erreur dans la théorie.

Commentaire : « Sun Tzu dit : Il est d’une importance suprême dans la guerre d’attaquer la stratégie de l’ennemi. ». « Attaquez le plan de l’adversaire au moment ou il naît. »

Mauvaise foi

1. [ Exagérer ] « Les jeunes ne connaissent rien de la vie ...» ou à l’inverse « … donc les jeunes ne sont pas capables de décider par eux-mêmes … »
Reprendre la thèse adverse en l’élargissant hors de ses limites naturelles, en lui donnant un sens aussi général et large que possible et l’exagérer

2. [ Généraliser ] « Pour réduire notre consommation, installons un appareil qui va consommer ! » Prendre une proposition relative, et de la poser comme absolue ou du moins la prendre dans un contexte complètement différent et puis la réfuter

3. [Déformer, falsifier ou inventer une caution extérieure] car « Ce qui paraît juste à une multitude, nous disons que c’est vrai » Aristote
Au lieu de faire appel à la raison, il faut se servir d’autorités reconnues en la matière selon le degré des connaissances de l’adversaire.

4. [Discréditer et sous-entendre] « Ton explication est incompréhensible ! »
On insinue auprès de l’auditoire – auprès duquel votre réputation est établie – que votre adversaire dit des bêtises .

Discréditer l’adversaire

1. [Dégrader ] « C’est exactement ce que disaient les collaborateurs de Vichy … »
Jeter l’opprobre sur l’argument, voire sur l’adversaire en la plaçant dans une catégorie péjorative

2. [Opposer les paroles et les actes de l’adversaire] « Vous parlez d’économies, mais combien gagnez-vous ? ». Si les actes de l’adversaire ne sont pas en accord total avec ses paroles, sa thèse s’effondre.

3. [Trouver une exception] « Pourtant Christian a réussit, lui !».
Ne requiert qu’une seule instance à laquelle la proposition ne s’applique pas et qui la réfute. Un seul exemple démontrant le contraire de la thèse, détruit celle-ci

4. [Retourner un argument contre l’adversaire] « Ce n’est qu’un enfant, il faut être indulgent. », le retournement serait : « C’est justement parce que c’est un enfant qu’il faut le punir, ou il gardera de mauvaises habitudes ». Retourner un argument nécessite une bonne habitude oratoire et l’aptitude à rebondir vite et efficacement.

Commentaire :
« Attaquez le plan de l’adversaire au moment où il naît. Puis rompez ses alliances. » SunTzu

Agresser l’adversaire

1. [ Provoquer la colère ] « soyez gentil de me laisser parler, et de cesser d’intervenir incessamment, un peu comme le roquet … » Débat Chirac-Fabius 1985.
Provoquez la colère de votre adversaire : la colère voile le jugement et il perdra de vue où sont ses intérêts. Dans l’exemple la colère est telle que Fabius dérape verbalement et gestuellement.

2. [ Attaquer la personne elle-même ] « Je vois que vous cherchez à jouer avec moi à l’élève et au professeur …» Débat Le Pen – Macron 2017.
Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdue), au débateur lui-même en attaquant sa personne. on abandonne le sujet pour attaquer la personne directement. Dans l’exemple l’allusion est subtile voire incomprise de l’auditoire, mais la cible l’a parfaitement identifiée.

3. [ Convaincre le public et non l’adversaire ] « Etes-vous prêt a voter une loi pour le contrôle des ressources financières des partis politiques ?  – C’est sans aucun doute un problème à étudier … » Rires dans la salle. Chirac-Marchais 1971.
Ridiculisez l’adversaire et faites rire de votre remarque

4. [ Injurier ]  « Tu n’as visiblement pas assez de connaissances pour permettre de discuter … » « Tu es un minable …»
La parole est à Schopenhauer : « La question est de savoir maintenant quelle parade peut être utilisée par l’adversaire. Car s’il procède de la même façon, on débouche sur une bagarre, un duel ou un procès en diffamation »

Commentaire : « Un général qui ne sait pas se modérer, qui n’est pas maître de lui-même, et qui se laisse aller aux premiers mouvements d’indignation ou de colère, ne saurait manquer d’être la dupe des ennemis »
En réponse à l’agression, il est impératif de trouver l’équilibre entre la réponse et la prise de recul. Se faire agresser sans se défendre est une preuve de lâcheté, mais une réponse sur le même niveau d’agressivité démontre que les deux interlocuteurs sont au même niveau. L’humour est un bon outil de réaction.

Savoir finir en beauté

1. [ Tirer de fausses conclusions / Mentir ] Présentez quand même votre conclusion triomphalement comme si votre adversaire l’avait prouvée pour vous. Prendre une proposition de l’adversaire et d’en déformer l’esprit pour en tirer de fausses propositions.

Finalement, en écoutant attentivement les interviews, les débats et en vous écoutant vous-mêmes, vous réaliserez à quel point ces artifices sont massivement utilisés

René HYS

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